Pourquoi des villes en transition ? Le contexte économique.

Avant 2008, les points de vue extérieurs1 dans leurs grandes majorités considéraient l’illustre Détroit du Michigan comme « ville de la honte », il y avait beaucoup de mépris : par rapport à la désindustrialisation, rejetant la faute des acteurs sur place : « regardez ces sauvages laissant leur ville en ruine ». En relisant la crise de 2008 : Les USA sont en réalité la superpuissance la plus fragile de l’histoire et cela se voit par cette particularité d’être passé en 25 ans, d’une position de cœur industriel du monde capitaliste à une position de gestionnaire du capital-risque mondialisé. Cette différenciation a de l’importance pour comprendre comment les États-Unis sont parvenus à éviter la ruine : selon Michel Drac2, c’est parce que les pays étrangers possèdent aux USA désormais des « actifs sûrs » à faible rendement (bons du Trésor) et que les Américains possèdent à l’étranger surtout des actifs à forts rendements (investissement direct).

L’indice de GINI met en lumière le fait que les pays développés sont moins inégalitaires que les pays émergents, excepté aux USA ; alors une réalité s’est manifestée3 : « nos élites ont-elles le souhait d’aligner les pays pauvres sur la structure sociale des pays riches ? Non, de faire le contraire. La domination américaine est une avant-garde de choix de société du capital mondialisé, qui au sein de leurs pays traduit : le libre-échange favorisé (mise en concurrence inéquitable des mains d’œuvres, l’immigration et la constitution d’une immense économie virtuelle amenant une société inégalitaire). »

La COP21 a-t-elle permis d’une certaine façon d’inverser la règle ? Pas sûr. En tout cas actuellement, il est limpide que le piège des subprimes furent créés et généralisés après l’abolition de la loi Glass-Steagall, cela a permis cette confusion entre banque de dépôt et d’investissement, et cette dernière accroit sa surface financière, ce qui va fabriquer une masse monétaire par des prêts douteux, l’intérêt des banques étant de prêter le plus possible (et c’est toujours le cas). Le subprime dans sa définition4 : est à la base un prêt consenti à une personne à faibles revenus gagé sur le logement de l’emprunteur, et remboursable selon un taux d’emprunt variable et, généralement croissant. »

 

Étienne Chouard et les produits dérivés

 

Une nouvelle étape du libéralisme s’est surtout développée avec le capitalisme reaganien qui a introduit dans certaines villes, un accès facilité à la propriété pour des populations à faibles revenus, dans la version officielle ; mais dont la vraie finalité fut de faciliter l’accroissement des prêts émis par les banques commerciales, et par conséquent d’augmenter la surface des banques d’investissements, dans la version officieuse. En effet, le résultat c’est que le taux d’épargne des ménages US à partir de l’an 2000 était très bas pour arriver à 0 en 2007 et cela s’observe globalement dans le monde. La conclusion de cette observation, c’est que les dettes privées sont bien plus nocives que les dettes publiques, du fait que les ménages n’épargnent plus du tout et vont surtout emprunter pour davantage consommer. Un signal ne trompe pas, quand un ménage moyen ne peut plus épargner, cela veut dire que les ménages plus pauvres sont amenés inéluctablement à s’endetter.

Aujourd’hui la vraie question qui se pose est : « voulons-nous sortir du cadre ? » Ce cadre bien maillé peut se représenter comme un triangle5. Le premier côté est représenté par le « régime du commerce international »  dont la conséquence est le libre échange et la « liberté des investissements directs » dont la conséquence est la délocalisation ; le deuxième : la finance folle, l’accident des subprimes, la libéralisation complète des marchés de capitaux, la licence d’institutions financières qui prennent en otage les états (prêt et aide de ceux-ci) et le troisième : le modèle de politique économique européen avec une surveillance et une homogénéisation uniquement financière. Ben Bernake à la tête de la FED en 2006, a été confronté à la crise de 2008 ; sous sa direction on assiste à un achat massif de bon du Trésor et de titres hypothécaires, notamment jusqu’à la date du 29 janvier 2014 : c’est ce qu’on appelle le « Quantitative easing »6 qui entraine un resserrement monétaire progressif du fait de l’amélioration de la conjoncture économique américaine. Mais alors, comment expliquer que tant d’américains dépendent des coupons alimentaires ou food Stamps ?

 

Pierre Jovanovic sur le transfert de la dette et les coupes dans les aides sociales aux États-Unis

 

Il est bien connu que l’ascenseur économique aux États-Unis est en panne. La crise économique montre surtout un étranglement de la classe moyenne avec la « stagnation du salaire médian », les revenus de 90% des Américains entre classe paupérisée et classe moyenne sont presque inchangés depuis 1973, quant à 1% des plus riches les revenus ont été multipliés de 26 fois à 3007.

 

Le véritable écart de richesses

 

Le « self mad man » est brisé, la mobilité sociale est réellement en panne d’un point de vue américain – et bientôt mondial – selon Larry Katz de Harvard : « il faut se représenter l’économie américaine comme un grand immeuble d’habitation, il y a un siècle, et même il y a encore trente ans, ce bâtiment faisait des envieux. Mais, au cours de la dernière génération, sa physionomie a changé. Les appartements luxueux du dernier étage ne cessent de s’agrandir. Les appartements du milieu sont des plus en plus petits et le sous-sol est inondé. Pour couronner le tout, l’ascenseur ne fonctionne plus. Cette panne de l’ascenseur, c’est ce qui démoralise le plus les occupants de l’immeuble ».8

Ainsi les monnaies locales selon le modèle de « transition culture » de Rob Hopkins anticipe un marché menacé d’un collapsus, mettant en lumière des énormes pyramides de dettes. C’est une crise systémique qui échappe à tout contrôle. Le serpent se mort la queue, quand les états volent à la rescousse de banques cela démontre que le cœur de l’économie est virtualisé, qu’il finit toujours par imploser et dont les conséquences sont : pillages de fonds public et concentration maximale du capital, qui géographiquement applique un ajustement structurel de classe, dans les «villes globales » de Saskia Sassen. Ces «  ville globale » sont nourries de l’intérieur même du système, par des « organisations prédatrices »9 qui s’autoalimentent et qui ne favorisent plus la prospérité. La complexité et leur étalement créent une société plus brutale avec une forte augmentation du chômage et une nouvelle donne géopolitique par une guerre ouverte compartimentée, qu’on peut aussi traduire par une « 3e guerre mondiale par morceaux » : l’occidentalisation est plus centralisée via l’OTAN et le TAFTA et en réponse, une autre alliance forte autour de l’organisation de Shanghai avec la Russie, la Chine et bientôt l’Iran : un monde fabriqué en blocs, pour justifier un « choc de civilisations ».

Jean Baptiste Duroselle : « tout empire périra ».

Les « villes en transition » amorcent un retour de manivelle sur les préjugés. Cette crise majeure de délabrement n’est que la face visible de l’iceberg, car on estime qu’une centaine de villes aux États-Unis sont en bord de la faillite, Las Vegas par exemple, avec ces néons déchus pour les enseignes et pour beaucoup d’hommes.

La proposition de M. Obama en 2011 d’allouer les aides fédérales aux centres-ville déshérités n’a eu aucun impact. Le quartier de Roseland à Chicago dont il est originaire, le témoigne par ces chiffres : 24,7 millions d’individus en 2007 bénéficiaient de bons alimentaires à 45,1 millions en 2011. Les premières populations qui émergent à Détroit sont pour beaucoup des jeunes qui perçoivent la ville comme une curiosité, le territoire incite ces jeunes à proposer de nouvelles approches systémiques sur l’économie, redéfinissant alors un nouveau sens, dans la production.

The Neon-museum-las-vegas

Un nouveau laboratoire urbain de gestion de crise est depuis longtemps existant à Détroit mais depuis quelques années10, une renaissance urbaine commence à advenir. Actuellement, ce type de ville renaît dans leur périphérie par de multiples réappropriations des habitants. Ces villes seraient des anticipations logiques, pour contrer la destruction spatiale de la perte des moyens productifs.

« On se redresse les manches, on n’est pas des manches » Détroit, ville sauvage© de Florent Tillon

Lire la suite de la série « Villes en recyclage »

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée.