Le frère Jérôme nous témoigne ci-dessous, qu’on peut habiter cette terre en poète en louant l’amour de Dieu et de la vie, qu’il nous donne en abondance et cela sans bondieuserie; en étant responsable de nos choix pour créer du sens là où peut, là où nous sommes, et malgré fatigue et contradiction. Nous sommes invités à regarder notre existence comme des bien précieux entiers et inaltérable au regard du Très Haut, qui nous invite sans lâcher la terre et retrouvant des racines et des ailes à mieux marcher dans ce monde, en poètes, confiant en la providence.


 

Je m’appelle Jérôme. J’ai 45 ans. Ordonné prêtre en 2007 (Cuzco, Pérou). Je suis un fruit de la génération Goldorak, Les mystérieuses cités d’or… Je crois avec St François et toute l’Église que Dieu est Adorable en Ses œuvres, les créatures et j’aime contempler, certes par bribes légères, la Sagesse de Dieu à l’œuvre dans Ses œuvres. Réapprendre à découvrir, à comprendre et à s’émerveiller de la Sagesse de Dieu à l’œuvre dans Ses créatures… La création est un livre (cf. Pape François, Laudato si’, N° 6. 12) qu’il nous faut réapprendre à lire…. Comme un grand livre d’images… écrit du Doigt de Dieu, pour nous, Ses enfants, en lettres colorées et vivantes…
Je suis de ceux qui aiment à penser que les hommes sont comme des arbres (cf. Olivier Manitara, Mon frère l’arbre, sagesse essénienne, 2007) qui marchent (cf. Ph.-Lefebvre, Comme des arbres qui marchent, 2001). Je suis intimement convaincu que la vocation profonde de l’homme, comme l’arbre (cf. Francis Hallé dans, Il était une Forêt, de Luc Jacquet) et plus qu’aucun autre arbre, est d’incarner la Lumière, tout en étant bien profondément enraciné en terre, ancré dans le réel, source incontournable de vérité et de réalisme. De sagesse. Mais aussi d’incarner le temps ; ainsi que de défier les forces de l’apesanteur (cf. Francis Hallé, idem.) qui l’entrainent vers le bas, qui risquent à tout instant de l’assujettir aux réalités d’en-bas… pour s’élancer, comme l’arbre majestueux, toujours plus haut vers de subtiles et d’indicibles Hauteurs. Comme l’arbre, passer de l’ombre des racines profondes à la pleine lumière (cf. Olivier Manitara, idem). Qui donc Dieu n’attire-t-Il pas à Lui, par des liens d’Amour (cf. Osée 11, 4) ? Je ressens au plus profond de moi l’appel du retour à la terre et celui de la forêt (cf. Jack London, L’appel de la forêt). Un appel à retrouver plus qu’un simple contact : une connexion ; plus qu’une connexion (cf. Peter Wohlleben, L’intelligence des arbres), une communion. Une communion de la terre au Ciel… comme un arbre… En Église.

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Séquoia toujours vert (Sequoia sempervirens) qu’on trouvera souvent dans les grandes propriétés et arboretum, à l’instar du Sequoiadendron giganteum qui va moins haut, mais sera pourvu d’un tronc plus large.

On a souvent tenté de réduire la grande forêt à un « enfer vert » ou à un « paradis déchu ». Certes la chute de nos premiers parents n’a pas épargnée (cf. Rm 8) notre belle terre qui est la nôtre. Mais la forêt est loin d’être seulement un lieu où régit la loi du plus fort. Plus généralement, beaucoup de choses dans la création nous parlent de solidarité, d’entraide, de respect, de patience, de diversité, de différences, d’harmonie, de complémentarité et finalement, de communion de vie en surabondance. Comme si une Pédagogie de Dieu y était à l’œuvre… La création est source de réconciliation et de guérison. Je ne suis pas pourtant de ceux qui embrassent les arbres. Je suis de ceux qui pensent que si l’arbre possède une « énergie », il ne s’agit de rien d’autre – rien de plus, rien de moins – que d’une énergie créée – comme toute autre énergie d’ailleurs – par la Sagesse Divine en Personne, Incarnée, Morte et Ressuscitée pour moi (cf. Ga 2, 20). Car Je crois plus que tout en Celui qui a embrassé l’Arbre de la Croix. Par Amour pour nous : pour notre éternel Salut et pour celui du Monde.
Il fut un temps – pas très lointain – où, en France, notamment, l’on vivait encore intimement connecté aux êtres de la création. Les anciens transmettaient avec un respect religieux ce dont ils avaient eux-mêmes hérité de leurs pères et l’on vivait de traditions. Des traditions qui étaient l’expression d’une sagesse, fruit d’une longue expérience, certes, née du contact avec une création reçue vierge et féconde de la main du Créateur, mais aussi de Sa Parole. Puis vint un temps où, par soucis d’émancipation, se produisit en France quelque chose qui n’avait jamais été fait auparavant, quelque chose de radicalement nouveau et de révolutionnaire (cf. film documentaire, La Rébellion cachée, sur le génocide vendéen, de Daniel Rabourdin, 2017). On imagina un nouvel Ordre des choses, créé de toutes pièces, comme à partir de rien, comme si rien n’existait et n’avait existé avant : un nouvel ordre qui avait pour prétention d’être le pur produit de la « pure » Raison. Ça ne devait plus être l’homme, désormais, qui devait se plier aux choses (et donc aux exigences de la réalité), mais les choses qui devaient se soumettre aux exigences d’un pur produit dérivé de la Pensée. Tant d’efforts furent déployés pour tenter d’arracher coûte que coûte, des d’hommes, des femmes, des d’enfants à la terre, leur terre, à leurs traditions, à leur culture et s’il eut été possible à leur foi, à leur espérance, à leur Dieu, dans le sang. Rien de nouveau sous le soleil (cf. Qohèleth) : la terre crie (cf. Zoroastre, Les Gathas ; cf. Nietzsche, Ainsi parlait Zarathoustra ; cf. Gn 4, 10)… en effet. On ne peut que le déplorer. Faut-il vraiment voir dans tout cela l’origine de la déconnexion de l’humanité à la terre ? Peut-être, peut-être pas. Toujours est-il que depuis, à force de se déconnecter de la création, l’on finit à exploiter les êtres et les choses à outrance, comme on brûle des livres pour se chauffer l’hiver, au lieu de prendre le temps de les lire (cf. Idriss Aberkane) et d’en découvrir, tel un trésor, une sagesse, cachée comme dans un champ (cf. St Bernard, Homélie sur la recherche de la sagesse, Homélies diverses, 15) … Comme un rouleau compresseur qui écrase la vie féconde du sol, sous la surface et l’enfonce et le tasse, et le presse, et l’étouffe pour construire des autoroutes toujours plus larges dont on se demande finalement où elles nous mènent vraiment… C’est tout le pays qui, depuis, a été soumis aux griffes profondes d’innombrables herses, qui n’ont jamais vraiment cessé de défoncer les sols fragiles, jusqu’à la roche mère. Voilà longtemps, disent les spécialistes, que la terre, en France tout du moins, n’est plus qu’une peau morte… et empoisonnée. Et nous, nous nous retrouvons coupés/déconnectés du réel, séparés de la terre et du sol, coupés de notre nature profonde. Citadins du monde, « hors sols », nous vivotons. Devenus incapables d’interpréter les signes des temps. Sans plus de vraies relations les uns avec les autres, les uns pour les autres. Je suis de ceux qui se découvrent connectés depuis trop longtemps à un réseau mondial, alternatif, créé de toutes pièces… sans authentiques relations : quelque chose de tout à fait stérile parce que tout à fait artificiel, froid, sans vie et sans âme. Non pas que je rejette le progrès. Il faut progresser dans la vie. J’ai un autre regard sur la notion de « décroissance », je suis pour la croissance car elle est l’expression même de la vie, mais une croissance à échelle humaine, à rythme humain, au rythme du temps de Dieu, qui soit au service de l’homme plutôt que de sa destruction.

Saint-Fiacre
Saint Fiacre le saint patron des jardiniers

Produit dérivé de notre culture, je suis de ces enfants de la terre qui rêvent de retrouver enfin, avec urgence, des Racines et de Ailes1. Car je suis moi aussi convaincu que dans le champ de la terre est caché un trésor. Toute chose est une graine de sésame qui n’attend qu’une parole pour déployer, telle une mine d’or, ses innombrables richesses… de vie féconde. Comme j’envie ceux qui savent encore de nos jours, à la manière d’un Frère Jean (cf. Le jardin de la foi), d’un Hervé Coves et de bien d’autres encore, lire la création comme on lirait un livre. Je me découvre au contraire de plus en plus déconnecté du langage des fleurs, des insectes, des nuages. Je suis devenu comme un intrus en terre inconnue. Ahh !, ma pauvre soeur, notre mère la terre ! En m’éloignant du vivant, je m’éloigne de Dieu. Plus je me rapproche de Dieu, et plus je reviens à toi, comme un enfant repenti.
C’est sans doute pour tout cela que, dans le domaine du Foyer de Charité de Branguier (Aix-en-Procence), nous avons commencé à creuser un bassin de rétention d’eaux pluviales, que nous avons réalisé des buttes de cultures, que nous y avons planté des tomates, des salades, des concombres dans une vision permaculturelle. A notre petite échelle de colibris (cf. Pierre Rabbi). Sans doute afin de réapprendre à nous reconnecter avec le réseau de la Vie telle que Dieu l’a Pensée, Imaginée, Désirée… Telle qu’Il ne cesse de la Créer. Je sais que Lui seul peut tout Sauver, comme Il l’a déjà fait ! Il n’attend qu’un signe de notre part. Il suffira d’un signe, un matin… (cf. JJ. Goldman) pour qu’Il envoie Son Esprit, et que se renouvelle la face de la terre… (cf. Ps 103-4). A Dieu, rien n’est impossible (cf. Lc 1, 37).
Or, ce Salut a déjà commencé. Comme j’aime – à la manière de Melkizédech, roi de Paix – offrir l’Eucharistie sur l’autel du Monde (cf. Jean Daniélou, Les saints païens de l’Ancien Testament). Savoir d’où viennent ce pain et ce vin. Savoir ce qu’ils sont réellement – fruits de la terre et du travail des hommes – afin de mieux apprécier ce qu’ils deviennent alors : le Corps et le Sang du Verbe éternel, Sagesse Incarnée de Dieu en lequel tout le créé, récapitulé, se trouve déjà Sauvé, Transfiguré, bien que ce soit encore dans la nuit (cf. St Jn de la Croix). C’est Lui qui qui est à l’origine et au terme de notre foi (cf. He 12, 2). Lui qui porte tout, absolument tout, à son Apogée, à son Accomplissement. Il est l’Alfa. Il est l’Omega. Il est le Centre. Il est Notre Tout. Il est la Vie. Il est l’Amour. En Surabondance. Et Il se Livre, Il se Donne, pour la Vie du monde…

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